Les Fleurs bleues de Queneau
Objectifs : situer l'œuvre dans son contexte
ainsi que dans l'ensemble de l'œuvre de l'auteur et en
connaître les principales caractéristiques.
1. Les Fleurs bleues dans l'œuvre de Queneau
Treizième et avant-dernier roman de Queneau (1903-1976),
Les Fleurs bleues sont publiées en 1965. Il ne
connaît pas le succès du précédent
roman, Zazie dans le métro (1959). Cependant, il
est considéré par certains comme le
chef-d'œuvre romanesque de Queneau. A
l'époque, l'écrivain préside aux
destinées de l'OuLiPo (Ouvroir de
Littérature Potentielle), un groupe
d'écrivains élaborant ensemble des contraintes
formelles en matière de création littéraire
qui visent à susciter l'inspiration. Ce goût de la
complexité se retrouve dans Les Fleurs
bleues.
2. Le principe de composition des Fleurs bleues
S'inspirant du philosophe chinois Tchouang-tseu qui, rêvant
qu'il était un papillon, n'excluait pas d'être ce
papillon rêvant qu'il était Tchouang-tseu, Queneau
tisse le double récit de Cidrolin et de Joachim,
duc d'Auge, chacun surgissant dans le rêve de l'autre
lorsque celui-ci s'endort. A l'intérieur d'un même
chapitre, le lecteur passe ainsi, sans transition, du monde
contemporain de Cidrolin (1964) au passé seigneurial du
duc (1264). Mais qui rêve de qui et lequel est le
rêve de l'autre ? Cette ambivalence pose la
question de la réalité : ce qu'on croit
être le réel n'est peut-être qu'un songe.
3. La chronologie des Fleurs bleues
L'architecture du roman ne se réduit pas à
l'
enchevêtrement des deux existences. Tous les
quatre chapitres, le duc d'Auge opère
un bond dans le
temps de 175 années : 1264, 1439, 1614,
1789, et enfin 1964. Telles sont les
étapes de
cette odyssée à travers le temps où le duc
d'Auge, accompagné de son page Mouscaillot et de leurs
deux chevaux, Sthène et Stèphe, qui ont la
particularité de s'exprimer en langage humain, chevauchent
pour ainsi dire l'Histoire.
Du règne de saint Louis qui veut entraîner le duc
d'Auge dans sa dernière croisade (chapitres 1 à
4), on passe à celui de Charles VII auprès duquel
il plaide la cause de Gilles de Rais, accusé
d'infanticide (chapitres 5 à 8). Ensuite, on se retrouve
au début de la Régence de Marie de Médicis
(chapitres 9 à 12), puis aux premiers jours de la
Révolution française (chapitres 13 à 16)
et enfin à la rencontre d'Auge et Cidrolin en 1964
(chapitres 17 à 20). Auge et les personnages qui
l'accompagnent, au moment où ils s'installent sur la
péniche de Cidrolin, semblent cependant avoir
vécu le temps d'une vie d'homme, tout en
traversant 700 ans. Dans le dernier chapitre, le duc d'Auge
remonte le cours du temps pour retrouver son donjon.
Le roman instaure non seulement une temporalité
aberrante, mais propose, à la fin, une trame
chronologique circulaire, remettant ainsi en cause la
conception habituelle d'un temps linéaire.
4. Un récit et un titre énigmatiques
Le roman de Queneau se présente, à bien des
égards, comme une fable. En effet, le récit
doit être constamment décrypté, sans que
jamais l'auteur ne nous donne les clés pour accéder
à un sens sûr et certain.
De même, le sens du titre ne va pas de soi.
L'expression clôt le roman. On la trouve également
dans la bouche des chevaux (chapitre 1). Cependant, le titre
demeure une énigme. Faut-il y voir une allusion aux
relations amoureuses des personnages (être fleur bleue,
c'est être trop sentimental) ? Est-ce un symbole du
monde du rêve ? Faut-il y voir une
référence aux multiples « fleurs de
rhétorique » qui parsèment le
roman ?
Titre et roman en appellent donc constamment à une
lecture herméneutique.
L'essentiel
Les Fleurs bleues sont un roman complexe :
construit sur un double récit qui mêle
rêve et réalité, il remet en cause la
notion de temps linéaire en opérant
retours en arrière et bonds dans le temps. C'est aussi
un roman énigmatique : sorte de fable, son
charme naît de la difficulté à saisir
précisément son sens, comme le titre
mystérieux l'annonce immédiatement.