Titre original : Dangerous Liaisons.
Sortie : décembre 1988
aux États-Unis, mars 1989 en France.
Scénario : Christopher Hampton.
Interprétation : Glenn Close (Merteuil),
John Malkovich (Valmont), Michelle Pfeiffer
(Mme de Tourvel), Uma Thurman
(Cécile), Keanu Reeves (Danceny).
Stephen Frears est un réalisateur
britannique, surtout connu, jusqu’à
Dangerous Liaisons pour ses comédies sociales
sur l’Angleterre contemporaine, en particulier My
beautiful laundrette et Prick up
your Ears. Depuis lors, il
a réalisé des films très
différents parmi lesquels The Queen, qui
évoque l’attitude de la reine
d’Angleterre après la mort de la princesse
Diana. Il prépare une nouvelle adaptation
d’une œuvre littéraire
française : Chéri
de Colette.
a. La genèse du film
Une particularité essentielle du film de Stephen
Frears est d’avoir été
adapté d’une pièce de
théâtre écrite par Christopher
Hampton à partir du roman. Ayant connu un
succès mondial, la pièce a suscité
l’intérêt de sociétés de
production et a donc été adaptée
pour le cinéma par Christopher Hampton
lui-même.
Le scénariste a raconté comment il avait
construit sa pièce de théâtre :
« … j’ai fait une
construction assez mathématique pour le
théâtre. Il y a dix-huit
scènes, soit six groupes de trois scènes,
qui s’articulent toujours de la même
façon. Une scène générale
d’exposition, qui couvre environ cinquante pages du
roman. Une scène plus resserrée, avec moins
de personnages et, enfin, une scène très
détaillée, très intime, qui couvre
une seule page du roman et se concentre sur un
événement particulier.
Ces six blocs de trois scènes sont de
plus en plus courts, pour marquer
l’accélération de l’histoire.
Comme dans le livre. ».
Pour la préparation du film, Christopher Hampton
est retourné vers le roman sans abandonner
complètement la pièce :
« J’ai tout de même
gardé un certain nombre de choses de la
pièce. Surtout vers la fin. Il y a de longues
scènes très dialoguées qui en sont
issues. ».
Ce processus créatif mérite
d’être souligné car il a une influence
importante dans la construction du film, dont
l’intrigue est resserrée et
dramatisée par rapport à celle du
roman.
b. Fidélité et liberté
Si l’essentiel de l’intrigue du roman est
respecté par le film, quelques modifications assez
significatives ont néanmoins été
apportées : les intrigues secondaires,
en particulier le déshonneur de Prévan, ont
été supprimées afin de
concentrer le film sur les personnages principaux.
Par ailleurs, afin d’éviter la monotonie de
lettres lues en voix off, le cinéaste,
comme tous les autres adaptateurs du roman, apporte une
modification essentielle aux rapports entre les
personnages.
Dans le livre, Merteuil et Valmont ne se
rencontrent qu’une seule fois, tandis qu’ils
sont mis régulièrement en présence
l’un de l’autre dans le film. Il en
résulte une modification substantielle de la
tonalité de l’œuvre, les personnages
dialoguant puis s’affrontant de manière
beaucoup plus directe.
Pour autant, plusieurs échanges de lettres,
souvent lues en voix off, ont
été conservés et le cinéaste
en a même inventé une qui ne figurait pas
dans le livre : Mme de Merteuil
révèle par courrier à Danceny que
Cécile a une liaison avec Valmont. En outre, la
première image du générique montre
des mains de femmes qui tiennent une lettre sur laquelle
s’inscrit le titre du film.
Surtout, la fin de l’histoire a
été substantiellement
modifiée : d’une part, il est
évident dans le film que la mort de Valmont est
un suicide : hanté par l’image de
Mme de Tourvel, qui apparaît agonisante
sur l’écran à plusieurs reprises
pendant le duel, Valmont se précipite
lui-même sur l’épée de Danceny.
Le roman, lui, ne décrit pas le déroulement
du combat.
D’autre part, le sort de
Mme de Merteuil est également
différent : alors que dans le roman, elle
doit s’enfuir en Hollande, ruinée et
défigurée par la petite vérole,
Stephen Frears, qui avait d’abord envisagée
qu’elle soit guillotinée lors de la
Révolution, la montre simplement se
démaquillant devant son miroir après avoir
été humiliée à
l’opéra. Quelques larmes coulent sur ses
joues. Il est clair que le cinéaste a
considéré que l’accumulation des
malheurs qui s’abattaient sur
Mme de Merteuil dans le livre devait beaucoup
à la morale de l’époque. La fin
du film, qui n’est pas moins cruelle que celle
du livre, provoque davantage de compassion pour
Mme de Merteuil.
Notons aussi que la structure du film est
circulaire : il s’ouvre sur les
préparatifs de la marquise devant sa coiffeuse,
contemplant son image triomphante, et
s’achève devant la même coiffeuse,
où la libertine défaite se
démaquille, dévoilant l’image
d’une femme lasse et vulnérable.
c. La création cinématographique
La valeur d’une adaptation littéraire ne
réside pas d’abord dans le respect de
l’histoire adaptée, mais dans la
manière de restituer par des moyens proprement
cinématographiques l’essence de
l’œuvre écrite. Plusieurs
éléments méritent d’être
soulignés dans le film de Frears :
• l’usage très fréquent du
gros plan sur les personnages permet de scruter leur
âme et de retrouver ainsi l’intimité
du genre épistolaire qui se prête mal
à l’adaptation cinématographique.
L’usage du gros plan est complété par
celui du miroir, instrument essentiel du
séducteur, objet qui dédouble le visage de
celui qui s’y regarde et traduit la
duplicité des libertins ;
• les métaphores guerrières du
livre, décrivant le libertinage comme un
combat, sont admirablement reprises par la
séquence d’ouverture du film qui
montre les préparatifs des deux libertins qui
s’apprêtent à engager une guerre, un
duel. L’habillage de Valmont et de
Mme de Merteuil est filmé avec force
détails en montage alterné, nous
préparant aux affrontements brillants qu’ils
vont avoir ensuite ;
• certaines séquences muettes rendent,
bien mieux que tout dialogue, l’esprit du
roman. Le meilleur exemple est constitué par
le récital chez Mme de Rosemonde,
auxquels assistent Valmont, Mme de Merteuil,
Mme de Tourvel et Cécile. La position
des personnages, les regards qu’ils
échangent, les mouvements de caméra sur les
uns ou les autres nous font pénétrer dans
leurs pensées les plus intimes. Pour la
première fois, sans qu’aucun mot
ne soit échangé,
Mme de Merteuil comprend que les sentiments de
Valmont à l’égard de
Mme de Tourvel sont bien plus qu’un
simple désir de conquête.