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Le corps est-il la prison de l'âme ?

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La question posée renvoie à la distinction classique, dans l’histoire de la philosophie, établie entre le corps et l’âme. On appelle « dualisme » la théorie selon laquelle l’homme est composé de deux substances différentes, indépendantes l’une de l’autre : l’âme et le corps. Le dualisme rejoint habituellement, dans la conception dualiste, la distinction que l’on fait entre l’esprit et la matière. Le plus souvent, la prééminence est accordée à l’âme, supposée éternelle, tandis que le corps est périssable et mortel. C’est en ce sens que Socrate, dans les dialogues de Platon, dit que « le corps est la prison de l’âme ».

La conception inverse renvoie au « monisme » : certains philosophes pensent que l’âme et le corps ne sont pas séparables, et forment une seule substance à travers laquelle ils s’interpénètrent. Lorsque le corps meurt, l’âme périt en même temps que lui. Le monisme représente le plus souvent une tentative de réhabiliter le corps, réhabilitation qui ne s’opérera vraiment, en fait, qu’au 20e siècle.

1. Le corps comme poison et tombeau de l'âme
a. Le dualisme platonicien ou la prééminence de l'âme
Dans plusieurs des dialogues platoniciens, Socrate oppose le corps et l’âme. À la question : « Qu’est-ce que l’homme ? », Socrate répond que « l’homme, c’est l’âme » (Alcibiade). Il faut en fait, préalablement, distinguer trois éléments dans l’homme, ou trois « êtres » : l’âme, le corps et le tout qui est formé de leur union. Ce ne peut être le corps qui commande, puisque « l’homme se sert de son corps tout entier ». L’union du corps et de l’âme ne peut, elle non plus, commander, puisqu’elle représente un mélange dont le corps est l’un des composants. Le corps n’est qu’une sorte d’« outil » que l’homme utilise à sa guise. Donc, c’est l’âme qui commande. Socrate peut alors conclure que la partie maîtresse en l’homme, c’est bien l’âme.

Dans le même dialogue, Socrate explique ce que signifie « se connaître soi-même » : c’est connaître son âme. Sans cette connaissance, on ne peut espérer devenir un chef politique, comme l’ambitionne Alcibiade. La connaissance de la chose politique (la res publica) commence donc par la connaissance de soi-même, ce que n’avait pas compris Alcibiade. Prendre soin de soi, d’une manière générale, ce n’est pas prendre soin de son corps, c’est prendre soin de son âme.
b. Le corps et l'âme à l'épreuve de la mort
Le Phédon met en scène les derniers instants de Socrate, entouré de ses disciples. Il commence par expliquer que la mort équivaut à la séparation de l’âme et du corps. « Être mort, c’est bien cela : à part de l’âme, séparé d’elle, le corps est isolé en lui-même, tandis que l’âme, séparée du corps, est isolée en elle-même ». Le corps était un poison pour l’âme, la mort venant, elle se trouve délivrée de ce poison. Sans le corps, « l’âme raisonne mieux que jamais ». Elle peut enfin atteindre la vérité, dès lors qu’« elle n’est plus troublée ni par l’ouïe, ni par la vue, ni par le plaisir ». Elle peut enfin « envoyer promener le corps », selon les propres termes de Socrate.

Le corps est, décidément, l’« élément mauvais », qui cherche à détourner les hommes de la vérité : « Guerres, révolutions, batailles n’ont d’autre cause que le corps et ses désirs ». Les hommes sont généralement les esclaves de leur corps, finalement considéré comme responsable de tous les maux de la terre. Le corps empêche de « philosopher » : il se met sans cesse « en travers de notre vie et nous empêche de contempler le vrai ». Critiquant celui qui craint la mort, Socrate montre que celui-là est « ami du corps, et non de la sagesse ». L’objet propre de la philosophie est de « détacher l’âme et de la séparer du corps ».

Socrate a donc voulu expliquer à ses amis pourquoi il consentait aussi facilement à mourir. Il boit le poison qu’on lui apporte et meurt en prononçant cette dernière phrase : « Criton, nous devons un coq à Asclépios. Payez ma dette, ne l’oubliez pas ». Asclépios, le dieu de la médecine, est censé guider l’âme dans sa migration finale.
Dans le dialogue intitulé Cratyle, enfin, le corps est expressément comparé à un tombeau : Socrate joue sur les mots grecs sêma, qui signifie « tombeau » ou « geôle », et sôma, qui signifie « le corps ».

2. L'homme n'est pas logé dans le corps comme un pilote en son navire
a. L'âme et le corps sont deux principes différents
La réflexion philosophique de Descartes débouche sur la première certitude dont celui-ci a besoin pour établir les fondements de sa méthode : « Je pense, donc je suis » (« Cogito ergo sum »). Si le « Cogito » cartésien révolutionne la pensée, c’est parce que la primauté revient désormais au sujet pensant, et non plus au monde ou à la nature qui s’imposent aux individus. L’esprit devient premier, par rapport à la matière. Ici se situe une coupure essentielle entre le monde des Anciens et celui des Modernes.

Dans la Seconde méditation (Méditations métaphysiques, 1641), Descartes établit une séparation radicale entre deux substances, la substance pensante (l’âme) et la substance étendue (la matière), ou le corps. Il ne fait aucun doute, pour Descartes, que lorsque le corps meurt, l’âme subsiste. Dieu est le garant de l’immortalité de l’âme.
L’âme et le corps sont donc deux principes différents, et cela ne constitue pas un problème. L’âme n’a pas besoin du corps pour exister, et réciproquement. Le problème, pour Descartes, c’est le principe de l’union de l’âme et du corps. Cette union correspond en fait à une substance d’un genre particulier, qu’il faut examiner, puisque les hommes qu’il étudie sont constitués par cette union : « Ces hommes seront composés, comme nous, d’une Âme et d’un Corps. Et il faut que je vous décrive, premièrement, le corps à part, puis après l’âme aussi à part ; et enfin, que je vous montre comment ces deux natures doivent être jointes et unies pour composer des hommes qui nous ressemblent » (Traité de l’homme, 1662).
b. La connaissance du corps ne relève pas de la philosophie
Descartes, bien qu’ayant établi que le corps et l’âme sont distincts, se préoccupe toutefois de l’homme concret, composé d’une âme et d’un corps. L’âme, certes, n’est pas matérielle, mais néanmoins, « il ne suffit pas qu’elle soit logée dans le corps humain comme un pilote en son navire (…) et ainsi composer un vrai homme » (Discours de la méthode, 1637, Cinquième partie). Le corps n’est donc pas une simple enveloppe matérielle ; si tel était le cas, « lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour autant la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense, mais j’apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt en son vaisseau ». Il n’est pas question de négliger l’« union ».
Reste toutefois que Descartes reconnaît qu’elle reste difficile à définir. Il ne s’oppose pas moins à l’éventualité du monisme (le corps et l’âme seraient une seule et même substance) : « Ceux qui ne philosophent jamais, et qui ne se servent que de leur sens, ne doutent point que l’âme meuve le corps, et que le corps n’agisse sur l’âme ; mais ils considèrent l’un et l’autre comme une seule chose… ». En résumé, ceux qui défendent la conception moniste ne sont pas de vrais philosophes.

Chez Descartes, le corps a donc une certaine utilité, même s’il faut se méfier des sens (et c’est par l’intermédiaire des corps que nous sentons et percevons le monde, même si ceux-ci nous trompent). De l’union du corps et de l’âme, nous ne pouvons avoir qu’une approche concrète, empirique ; cette union ne peut pas être l’objet d’une science. Le corps ne peut donc pas davantage devenir l’objet de la philosophie. Il faut renoncer à le connaître. Mais Descartes, en reléguant le corps au second plan, n’a toutefois pas négligé son importance, car il représente la réalité de l’homme dans le monde.

3. Personne ne sait ce dont est capable le corps
a. Le monisme spinoziste
Il n’existe, pour Spinoza, qu’un seul être, l’homme, qui se décline selon deux modes, le mode intellectuel et le mode corporel : « Le corps et l’esprit sont une seule et même chose, mais exprimée de deux manières » (Éthique, Livre II, proposition 7). Certes, Spinoza admet que l’homme est constitué d’une âme et d’un corps, mais il n’est pas « double » pour autant. Le corps et l’âme doivent être pensés selon « l’attribut de la pensée » (l’âme, res cogitans), ou selon « l’attribut de l’étendue » (le corps, res extensa). C’est pourquoi on parle de « monisme » (de mono, « un seul »).
Personne ne pourra se faire de l’union du corps et de l’âme une idée adéquate, si nous ne connaissons pas le corps. Et nous avons vu que Descartes avait renoncé à cette connaissance. Spinoza va donc proposer d’étudier la nature du corps à partir du corps lui-même, et non plus à partir de la pensée ou de l’âme. Le corps, avec Spinoza, change de statut, il acquiert une autonomie : c’est pourquoi, entre autre, la philosophie de Spinoza a pu paraître scandaleuse.

Chez Spinoza, il n’existe pas, en outre, d’union de l’âme et du corps telle que l’envisageait Descartes, mais plutôt un parallélisme ou une correspondance entre les deux : « si de son côté le corps est inerte, l’âme [n’est-elle pas] en même temps privée de l’aptitude à penser ? Quand le corps est en repos dans le sommeil, l’âme reste endormie avec lui et n’a pas le pouvoir de penser comme pendant la veille » (Éthique, Livre III, proposition 3).
b. Le monisme spinoziste puise sa source dans une philosophie du désir
Ce monisme se conçoit dans le cadre d’une philosophie du désir et de la vie : l’essence de l’homme, dit Spinoza, est le désir. Le désir n’a pas ici de connotation sexuelle, il correspond à une sorte de poussée vitale : le désir correspond à l’effort pour persévérer dans son être (on peut aussi parler de conatus). Ce désir préexiste à toutes choses ; c’est parce que nous désirons une chose que nous la trouvons bonne, dit Spinoza, et non pas parce que nous la trouvons bonne que nous la désirons : « (…) nous ne nous efforçons à rien, ne voulons n’appétons ni ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne ; mais au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons » (Éthique, Livre III, proposition 9). La volonté ne serait pas, en outre, d’une grande utilité si on croit qu’elle peut lutter contre les passions. Spinoza critique ainsi la notion de « volonté infinie », que Descartes attribue à l’âme.

Découvrant tardivement Spinoza, et reconnaissant chez lui une philosophie du corps, du désir et de la vie, Nietzsche s’exclamera, dans une lettre du 30 juillet 1881 adressée à Overbeck : « Je suis très étonné, ravi ! J’ai enfin un précurseur, et quel précurseur ! ».
Pour le philosophe et biologiste contemporain Henri Atlan, le monisme spinoziste semble fournir la philosophie la plus adaptée pour penser la révolution biologique actuelle. Le corps n’est plus la prison de l’âme ; c’est par la révélation de sa « puissance », c’est-à-dire des potentialités qui sont les siennes que l’on pourra analyser et interpréter les nouvelles données fournies par les découvertes dans le domaine des neurosciences et des sciences cognitives. Une lecture assidue et critique du dualisme cartésien permet à Spinoza de le dépasser, en se forgeant sa propre philosophie.

L'essentiel
Faut-il défendre la conception dualiste ou moniste de l’âme et du corps ? Le 20siècle semble avoir inventé un nouveau corps. Freud découvre que l’inconscient parle à travers le corps, que le refoulement des pensées inconscientes se manifeste « somatiquement ». Le corps finalement exprime ce que la pensée refuse à formuler. Pour Merleau-Ponty, le corps sera « l’incarnation de la conscience ». La sociologie contemporaine, à travers les travaux de David Le Breton ou de Georges Vigarello, pour ne citer qu’eux, montre que l’histoire des corps révèle autant de choses sur les sociétés humaines que l’histoire des esprits.
On assisterait même aujourd’hui, dans un autre registre, à une « dictature du corps », à travers l’importance que nous accordons à notre apparence. Les individus contemporains s’identifieraient davantage à leur corps qu’à leur esprit. En ce sens, l’âme serait prisonnière du corps.

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