Désir et besoin / Le désir amoureux : Don Juan
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1. L'identité apparente du désir et du
besoin
a. Désir et besoin impliquent le manque ou
l'absence d'un objet
Dans le langage commun, nous disons que « nous
désirons cet objet » ou que
« nous en avons besoin » :
autrement dit, nous considérons ces deux notions
comme identiques. Toutes deux marquent le manque ou l'absence. Platon, dans Le Banquet,
écrit que « le désir ne peut
porter que sur ce que l'on n'a pas, ce que l'on n'est
pas. Par exemple, l'homme qui est déjà
grand et fort ne saurait désirer le devenir,
puisqu'il l'est déjà ». Il faut
donc dire avec Platon que « ce qu'on n'a pas,
ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà les
objets du désir et de l'amour ».
Désir et besoin semblent ainsi, du point de
vue du manque qu’ils impliquent,
étroitement liés.
b. Le besoin et le désir sont liés et
cependant distincts
Les philosophes ont en effet coutume de dire que le
besoin relève du corps – donc de la
physiologie ou de la biologie – tandis que le
désir relève de l’esprit et de la
conscience. Le désir serait, en quelque sorte,
un besoin
« intellectualisé ».
On peut donner l’exemple de la faim, qui correspond
à un besoin que nous devons satisfaire si nous
voulons nous maintenir en vie : ce besoin a pour objet la
nourriture en général (tandis que le
désir va se porter sur un aliment précis,
plutôt que sur un autre). Le lien qui unit le
besoin au désir est paradoxal : d'une part,
certes, le désir s'éveille suite
à un besoin dont il est la conséquence,
mais il est aussi ce mouvement ou cet
« élan » de l'esprit qui
va nous permettre de combler ce besoin
antérieur. Si le désir est lié
au besoin, il est donc aussi ce qui s'y oppose en le
satisfaisant, puisqu’il le fait
disparaître. Le besoin semble essentiellement
négatif, tandis que le désir est un
élan positif vers un accroissement ou une
conservation de soi.
c. Il existe des besoins sans désirs, et des
désirs sans besoin
Si l’on garde l’exemple de la nourriture,
nous pouvons très bien considérer
qu’il est possible de beaucoup manger sans avoir
faim – tel est le cas de la boulimie, qui
relève de la pathologie – et qu’il est
également possible d’avoir faim sans
désirer manger – ce que nous
considérons également comme pathologique,
si l’on prend l’exemple de l’anorexie.
Le besoin est toujours susceptible
d’entraîner des excès – et
ce sont ces excès que nous devons surveiller. De
même, nous désirons certains objets dont
nous n'avons pas besoin (une résidence luxueuse ou
des bijoux). Ce sont des désirs qu'Épicure dans la Lettre
à Ménécée, qualifiera de
« non
nécessaires », et auxquels
il recommande de renoncer si nous voulons trouver la
quiétude et le bonheur. En effet, celui qui
s'attache trop à un luxe ou à des plaisirs
excessifs s'expose à bien des insatisfactions et
des déceptions, puisque ce sont là des
biens difficiles à acquérir et aisés
à perdre. Il existe, en outre, des désirs
que l’on peut qualifier de
« désirs
intellectuels », ou de
désirs purs : il y a par exemple, en
l'homme, un désir du beau, que Platon qualifie dans le
Philèbe de « désir
pur », parce qu'il ne procède
d'aucun manque antérieur. Il est donc un
désir purement positif : il correspond
au désir de voir de belles formes, mais
également au désir de produire de belles
œuvres. C’est pourquoi on évoque en
général la
« gratuité » de
l’art, ou son inutilité. Nous
n’avons pas « besoin »,
à proprement parler, de beauté. Et
pourtant, nous désirons contempler de belles
choses, voire leur donner naissance. L’art
n’est pas utile, et il est pourtant
indispensable.
2. La figure de Don Juan
Si Don Juan semble avoir été à
l’origine un personnage réel, il a pris
rapidement, dès le 17e
siècle, la dimension d’un mythe –
que nous connaissons surtout aujourd’hui à
travers une pièce de Molière et un opéra de
Mozart. Il incarne, en ses
diverses représentations théâtrales,
musicales ou poétiques, la figure du séducteur, du
libertin, de l’athée, bref, de celui qui
ne veut imposer aucune limite à ses
désirs – qu’elle soit religieuse,
sociale, ou morale. Il semble toutefois être la
première victime d’un désir jamais
satisfait ; le besoin qu’il a de séduire
le mène à sa propre perte.
a. Don Juan et le désir
Don Juan incarne le désir indéfini, sans
limite. Une femme, dès qu’elle est
séduite, cesse d’être désirable
et ne présente plus d’intérêt
pour lui. Son désir est insatiable. De la satisfaction
d’un désir naît un nouveau
désir. En outre, il semble que les
difficultés que Don Juan peut rencontrer pour
séduire une femme amplifient son désir ; la
femme « facile », celle qui
s’offre elle-même, n’a pour lui aucun
attrait. C’est pourquoi la novice d’un
couvent, ou la femme mariée,
l’intéressent particulièrement. Dans
la pièce de Molière, celui-ci
déclare : « lorsqu’on est
maître une fois d’une femme, il n’y a
plus rien à souhaiter […] si quelque objet
nouveau ne vient pas réveiller nos désirs,
et présenter à notre cœur les charmes
attrayants d’une conquête à
faire » (Dom Juan, I,2). Don Juan, en
transgressant les interdits, s’oppose
directement à la société et à
la morale que celle-ci véhicule. La quête
« amoureuse » est, quoi qu’il
en soit, une quête sans fin. Don Juan semble
chercher chez la femme ce qu’il ne peut trouver en
elle. Il ne s’agit certes pas d’amour, au
sens où nous l’entendons habituellement, au
sens où Roméo aime Juliette, au sens
où Tristan aime Iseult. Que cherche-t-il, alors ?
b. Don Juan et le désespoir
Selon Albert Camus
(1913-1963), Don Juan serait une figure de la
condition absurde de l’homme, mais aussi le
symbole de la
liberté, et de la volonté
d’échapper, précisément,
à la condition humaine. Dans le chapitre
intitulé : « Le
Donjuanisme » (Le mythe de Sisyphe,
1942), Camus explique par exemple que si Don Juan quitte
une femme, ce n’est pas parce qu’il ne la
désire plus, c’est parce qu’il en aime
une autre. « Cette vie le comble, rien n’est
pire que de la perdre. Ce fou est un grand sage.
Mais les hommes qui vivent d’espoir
s’accommodent mal de cet univers où la
bonté cède la place à la
générosité, la tendresse au silence
viril ». Seule la mort interrompt Don Juan dans
sa quête inassouvie. Camus semble lui vouer une
certaine admiration : « Cet homme,
écrit-il, ne se sépare pas du
temps » – il semble savoir que
l’homme est finitude, et que l’existence est
absurde ; chercher l’amour, c’est
à la fois chercher
l’immortalité, la permanence, la
stabilité et l’éternité dans
un monde soumis au perpétuel changement. Chercher
l’amour à travers le désir,
c’est finalement se soustraire à la
condition humaine, c’est chercher
l’éternité au sein de la vie
même, alors que seule la mort la contient.
Pour aller plus loin
• Désir et besoin
Platon (428/427-348/347 av. J.-C.), Le Banquet.
Épicure (vers 381-270 av. J.-C.), Lettre à Ménécée.
Spinoza (1632-1677), Éthique, Livre III.
Nietzsche (1844-1900), La généalogie de la morale (Troisième dissertation).
Sartre (1905-1980), L’Être et le Néant.
• Don Juan
1. Les textes fondamentaux
Tirso de Molina (1583-1648), Le trompeur de Séville : la première version théâtrale de la figure de Don Juan, qui a inspiré les suivantes.
Molière (1622- 1673), Dom Juan ou le Festin de pierre, Hatier, coll. Théâtre et mises en scène, 1985.
Baudelaire (1821-1867), Don Juan aux Enfers, in Les Fleurs du Mal.
2. Études sur Don Juan
Camus, Le mythe de Sisyphe, II, 1 : Le don juanisme, Pléiade, Œuvres complètes, p. 152.
De Rougemont, L’amour et l’occident, Plon, coll. 10/18, p. 228-233, « Tristan et Don Juan ».
Kierkegaard, Les étapes érotiques spontanées ou l’érotisme musical, Gallimard, en particulier p. 71-78, sur « L’infini du désir et la séduction ».
Platon (428/427-348/347 av. J.-C.), Le Banquet.
Épicure (vers 381-270 av. J.-C.), Lettre à Ménécée.
Spinoza (1632-1677), Éthique, Livre III.
Nietzsche (1844-1900), La généalogie de la morale (Troisième dissertation).
Sartre (1905-1980), L’Être et le Néant.
• Don Juan
1. Les textes fondamentaux
Tirso de Molina (1583-1648), Le trompeur de Séville : la première version théâtrale de la figure de Don Juan, qui a inspiré les suivantes.
Molière (1622- 1673), Dom Juan ou le Festin de pierre, Hatier, coll. Théâtre et mises en scène, 1985.
Baudelaire (1821-1867), Don Juan aux Enfers, in Les Fleurs du Mal.
2. Études sur Don Juan
Camus, Le mythe de Sisyphe, II, 1 : Le don juanisme, Pléiade, Œuvres complètes, p. 152.
De Rougemont, L’amour et l’occident, Plon, coll. 10/18, p. 228-233, « Tristan et Don Juan ».
Kierkegaard, Les étapes érotiques spontanées ou l’érotisme musical, Gallimard, en particulier p. 71-78, sur « L’infini du désir et la séduction ».
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