Objectif : étudier une œuvre à
caractère autobiographique.
Céline lui-même définit ses deux principaux
récits (Mort à crédit et Voyage au
bout de la nuit) comme des romans. Pourtant, le lecteur
considère que ces œuvres possèdent une
dimension autobiographique. On peut alors parler à propos
de Mort à crédit de roman autobiographique
ou « roman-autobiographie ».
1. La dimension autobiographique
Elle s'appuie sur plusieurs éléments.
a. Les confidences faites par Céline aux journalistes
Au moment de la parution de Voyage au bout de la nuit
(1932) et de Mort à crédit (1936),
Céline fait le lien entre l'histoire du personnage et la
sienne propre. Ainsi, les différents épisodes de
Voyage au bout de la nuit (guerre, séjours en
Afrique et aux Etats-Unis, exercice de la médecine dans la
banlieue parisienne) correspondent à des épisodes
réels de la vie de Céline. De même, l'enfance
du narrateur dans Mort à crédit est
rattachée à celle de Céline par de nombreux
aspects (quartier, personnages, expériences
professionnelles, etc.).
b. Le prénom du personnage principal dans Mort à
crédit
Le héros de Mort à crédit s'appelle
Ferdinand, ce qui est une partie du prénom réel de
l'auteur et donne donc à penser que ce dernier projette sa
propre vie dans celle de son personnage. (Dans Voyage au bout
de la nuit, Céline utilisait encore un prénom
fictif pour son personnage – Bardamu – pour
marquer la différence entre le héros et
lui-même.)
c. Le projet littéraire de Céline
Reconnu pour l'originalité de sa vision et de son style,
Céline a toujours affirmé que pour mettre en
œuvre cette vision et ce style, il devait partir de ses
propres expériences. Pour lui, la seule matière
narrative possible est sa propre vie.
2. L'appartenance au genre romanesque
Malgré tous ces éléments autobiographiques,
Mort à crédit appartient au genre
romanesque. En effet, l'histoire racontée n'est pas le
récit fidèle et assumé de la vie de
l'auteur, mais elle transpose des expériences
vécues. En outre, le récit n'est pas toujours
réaliste, ce qui constitue un autre écart par
rapport à l'autobiographie au sens strict du terme.
a. La transposition d'expériences vécues
Céline fait subir aux épisodes de sa vie
réelle un certain nombre de modifications destinées
à les faire correspondre à sa vision du monde, une
vision pessimiste et désenchantée. En voici
quelques exemples.
- Dans Mort à crédit, les traits de
caractère des membres de la famille (père,
mère, grand-mère, oncles et tantes) sont
grossis, caricaturés, pour les besoins de
l'histoire. Les crises de colère, violentes et
ridicules, du père, renforcent par exemple le malheur de
Ferdinand.
- Le passage réel dans lequel Céline
vécut son enfance – passage Choiseul,
dans le quartier de l'Opéra – change de
nom et devient « passage des
Bérésinas » dans Mort à
Crédit.
- La situation financière des parents est
considérablement noircie dans Mort à
Crédit par rapport à ce qu'elle était
en réalité : dans le roman, les parents font
des économies en n'éclairant qu'une vitrine sur
les deux que compte leur boutique ; ils déposent
des objets au Mont-de-Piété et se privent parfois
de nourriture. Dans la réalité, on sait que la
mort de la grand-mère, en 1904, avait mis la
famille à l'abri du besoin et que le jeune
Louis-Ferdinand prenait par exemple des leçons de piano.
Dès lors qu'il ne raconte pas les faits tels qu'ils se
sont produits mais leur impose ces changements qui vont dans le
sens d'une aggravation de la réalité,
Céline fait entrer son œuvre dans le genre
romanesque.
b. Les invraisemblances
La véritable autobiographie est soucieuse de
vraisemblance, de continuité et de cohérence. Or,
des invraisemblances, dans Mort à crédit,
affaiblissent ou annulent la crédibilité d'un
personnage ou d'une scène. Par exemple, la noirceur
extrême de certains épisodes peut constituer un
élément de leur invraisemblance.
De même, la tonalité fantastique qui
caractérise certains passages (par exemple
l'épisode de la traversée de la Manche en bateau)
est une dimension importante du roman, mais pas de
l'autobiographie.
L'essentiel
Mort à crédit de Céline est un
roman autobiographique ou roman-autobiographie. Cela
signifie qu'il raconte une histoire proche de la vie
réelle de l'auteur, mais qui s'en écarte par des
transpositions de la réalité (qui vont toujours
dans le sens d'une exagération) et par des
éléments invraisemblables.